Etat des lieux

Les droits humains à l’eau et à l’assainissement en France 

La Coalition Eau a fait de la reconnaissance des droits humains à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène, et de leur mise en œuvre effective en France, l’un de ses chantiers prioritaires. 

Une reconnaissance internationale des droits à l’eau et à l’assainissement 

Les droits humains à l’eau potable et à l’assainissement ont été reconnus par la Résolution du 28 juillet 2010 (résolution 64/292) de l’Assemblée Générale des Nations Unies dans laquelle il est reconnu que

Le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit de l’homme, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme

Malgré un engagement à « Ne laisser personne derrière », au cœur de l’Agenda 2030 des Nations Unies, les enjeux d’accès à l’eau reflètent des inégalités fortes, alors même que les droits humains à l’eau potable et à l’assainissement sont essentiels à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits humains. Selon les Nations unies, les services en eau et assainissement doivent être « suffisants et constamment disponibles, salubres et de qualité acceptables, accessibles physiquement, financièrement et sans danger ». Chaque Etat porte la responsabilité première de garantir l’application de ces droits sur son territoire et de prioriser l’usage de l’eau potable pour la consommation humaine (boisson, cuisine, hygiène). Dans les pays développés comme la France, l’enjeu est de mettre en œuvre ces droits pour toutes et tous, y compris pour les personnes en situation de précarité ou d’exclusion. 

Pour cela, la France doit traduire les droits humains à l’eau et à l’assainissement dans sa législation nationale. Ils doivent être opposables, afin de pouvoir faire l’objet de recours juridiques. 

Un manque d’accès à l’eau pour les populations précaires 

Si 99% de la population a accès à un réseau d’alimentation en eau et que 99,7% des Français ont des toilettes à domicile (Insee), l’accès à l’eau potable et à l’assainissement en France demeure problématique pour les populations en situation précaire. 

En effet, on compte aujourd’hui en France métropolitaine 330 000 personnes sans domicile et 100 000 vivants en habitats de fortune, qui dépendent de points d’approvisionnement en eau extérieurs à leurs lieux de vie (fontaines publiques, bornes incendies, puisage dans les eaux de surface, etc.). 

Selon la Fondation Abbé Pierre, dans son rapport annuel sur le Mal Logement : 

  • 330 000 personnes sont sans domicile 
  • 100 000 personnes vivent dans des habitats de fortune, dont environ 20 000 personnes vivent dans des bidonvilles (chiffres de la DIHAL). 
  • 208 000 « gens du voyage » subissent de mauvaises conditions d’habitat ou sans accès à une place dans les aires d’accueil aménagées[2] 
  • 2 090 000 personnes vivent dans des conditions de logement très difficiles avec privation de confort[3] 

Ces difficultés d’accès à l’eau et ces situations de vie précaires peuvent contraindre les personnes à s’approvisionner auprès de points d’eau extérieurs à leurs lieux de vie (fontaines publiques, robinets, eaux de surface, etc.). Mais d’importantes disparités sont observées dans les réponses et les solutions proposées au niveau local, comme le montre l’Observatoire des Droits à l’eau et à l’Assainissement[1] qui comparent les situations entre 5 villes françaises hexagonales.  

[1]https://www.coalition-eau.org/actualite/publication-du-premier-observatoire-des-droits-a-l-eau-et-a-l-assainissement/ 

Des situations critiques 

La situation des droits humains à l’eau et à l’assainissement est critique pour les personnes résidant dans les DROMs (Guadeloupe, la Guyane, La Réunion, la Martinique et Mayotte)

L’eau n’y est pas toujours disponible ni accessible en continu, elle est chère et souvent impropre à la consommation. Dans certains départements ultramarins, une partie significative de la population est victime de fréquentes coupures d’eau tout au long de l’année. Selon les chiffres du rapport de la Fondation Abbé Pierre

  • 160 000 personnes vivent en habitat de fortune et 7 860 sont sans domiciles 
  • 151 320 personnes vivent dans des logements privés de confort dont 3,5 % des logements n’ont ni douche ni WC (jusqu’à 18,6 % en Guyane) 
  • A Mayotte, plus de 13 500 logements n’ont pas l’eau courante (31,5% des foyers) et 17% de leur budget est consacré au paiement des factures d’eau. 
  • En Guyane, 18 000 logements informels ne sont pas raccordés aux réseaux d’eau et d’assainissement 
  • A La Réunion 46% des usagers sont alimentés par des réseaux ne garantissant pas une sécurité sanitaire satisfaisant.  
  • La Martinique et la Guadeloupe connaissent de nombreuses restrictions et tours d’eau au quotidien, ainsi qu’un empoisonnement au chlordécone. 

La situation des personnes exilées présentes sur le littoral Nord de la France

Cette zone côtière constitue l’un des principaux points de passage de la route migratoire, avec une présence de personnes en exil pour de courtes durées. Selon les associations locales, le nombre de personnes exilées au Nord oscille entre 1 000 et 3 000 chaque année et comprend des hommes seuls, des femmes, des familles et des mineurs non accompagnés. Bien que les conditions de vie extrêmement précaires de ces personnes soient largement connues des autorités et rapportées dans les médias depuis 2016, aucune mesure satisfaisante n’a été prise par les autorités pour garantir un accès à l’eau, à l’hygiène et à l’assainissement qui soit suffisamment digne ou répondant a minima aux standards internationaux humanitaires utilisés en situations de crise (standards SPHERE). 

Des nouvelles normes en matière d’accès à l’eau depuis 2023 

En janvier 2023, la directive européenne « Eau potable » 2020/2184, dont l’article 16 encadre l’accès à l’eau potable des populations vulnérables et marginalisées, a été transposée en droit français avec la publication d’une ordonnance et d’un décret d’application. Celle-ci vise à « garantir l’accès de chacun à l’eau destinée à la consommation humaine, même en cas d’absence de raccordement au réseau public de distribution d’eau destinée à la consommation humaine, y compris des personnes en situation de vulnérabilité liée à des facteurs sociaux, économiques ou environnementaux ». 

Ces nouveaux textes prennent désormais en compte les personnes et groupes de personnes n’ayant pas accès à l’eau potable, ou ayant un accès insuffisant, notamment celles et ceux en situation de sans-abrisme ou vivant dans des habitats précaires et informels (squats, bidonvilles, campements). 

  • Décryptage complet de ces nouvelles normes par la Coalition Eau ici
  • Note de positionnement « Vers une définition d’un accès à l’eau adapté et suffisant » ici

La problématique de l’abordabilité 

En France, les charges d’eau représentent environ 1 % du budget des ménages, ce qui est relativement peu élevé au regard d’autres biens essentiels comme l’électricité ou l’alimentation. Mais cette part est plus importante pour les ménages pauvres : on estime ainsi que pour plus d’un million de foyers, la facture d’eau dépasse 3 % des revenus, un seuil utilisé comme convention par les pays de l’OCDE pour identifier les populations confrontées à des difficultés d’accès à l’eau.  

De nombreuses collectivités ou syndicats du secteur ont voté des hausses (parfois à deux chiffres) en janvier 2023, du fait de la hausse des tarifs de l’électricité et des produits chimiques qui ont bondi. Cette inflation des prix de l’eau remet au cœur du débat l’enjeu d’une tarification plus favorable pour l’eau de consommation humaine. 

La possibilité de mettre en place un tarif social de l’eau, ouverte par la loi n° 2019-1461 relative à l’engagement dans la vie locale et proximité de l’action publique, avait pour objectif de lutter contre les inégalités territoriales en matière de tarification de l’eau et de garantir l’abordabilité des services d’eau et d’assainissement pour toutes et tous. Néanmoins la mise en place de ces tarifs sociaux dans les règlements des services de l’eau des collectivités reste sur une base volontaire de la collectivité : ce n’est pas obligatoire. En 2020, 41 collectivités territoriales représentant 11 millions de personnes menaient une politique sociale de l’eau. En outre, ces mécanismes d’aide sociale excluent a priori les personnes sans droits ni titres, qui sont généralement les personnes les plus précaires, vivant dans des habitats informels ou de fortune. 

Dans le cadre du Plan Eau annoncé par le Président de la République en 2023, la tarification progressive a été mise en avant comme une tarification écologique et sociale pouvant garantir l’abordabilité de l’eau pour toutes et tous. La tarification progressive propose des tarifs par tranches de consommation (moins l’usager consomme d’eau, plus la tarification sera sur une tranche basse et donc la facture faible). Intéressant pour sensibiliser à une consommation raisonnée d’eau, ce dispositif à visée écologique a néanmoins des limites dans des habitats collectifs ou des habitats précaires mal raccordés à l’eau, donnant lieu à de multi raccordements sur un même compteur.  

C’est le cas notamment à Mayotte où une part importante de la population n’est pas raccordée et a recours à des compteurs d’eau collectifs, partagés entre plusieurs habitants. Par conséquent, le volume d’eau consommé sur un même compteur est important et la tranche du prix de l’eau est élevée. Ainsi, cette mesure de progressivité, à l’inverse d’une tarification sociale, se retourne contre les populations les plus précaires, contraintes de payer des factures exorbitantes.  

Dans un contexte de tension sur les prix, d’inflation et de risque de basculement dans la pauvreté, la tarification progressive doit absolument être couplée avec des mécanismes sociaux pour les tranches supérieures. La tarification progressive ne répond pas à l’urgence sociale de garantir l’abordabilité de l’accès à l’eau pour toutes les populations, notamment les plus précaires. Des mesures complémentaires peuvent prendre la forme d’une tarification sociale adaptée ou d’une allocation eau. 

Le ministère de la transition écologique a publié une boîte à outils à destination des collectivités dans le déploiement de leurs politiques sociales de l’eau avec la rédaction de fiches techniques sur les principales mesures de la politique sociale de l’eau, les aides sociales existantes, etc. 

  • Boite à outils sur la politique sociale de l’eau ici 

La problématique du manque d’accès de données 

La situation des personnes sans accès à l’EAH reste invisible et méconnue du grand public.  

Il est difficile de chiffrer de manière précise les populations concernées par ce manque physique d’accès à l’eau et à l’assainissement car il n’existe aucune étude nationale permettant d’avoir des données sur la disponibilité des dispositifs publics d’accès à l’eau et à l’assainissement. 

A ce jour, aucun indicateur français n’existe pour suivre l’atteinte des cibles 6.1 (accès à l’eau potable) et 6.2 (accès à l’assainissement) de l’ODD 6, qui a pour objectif de garantir l’accès de tous à l’eau et à l’assainissement avant 2030.  

Les outils statistiques existants ne permettent pas d’analyser les problématiques de pauvreté en eau et de non-raccordement au réseau d’eau et d’assainissement de certaines populations (migrantes, sans domicile, vivant en habitats de fortune) ni les problématiques exacerbées d’accès à l’eau et à l’assainissement dans les Outre-Mer. 

Cette absence de suivi ne permet pas d’apporter des réponses adaptées et laisse de côté une partie de la population. L’Etat français doit renforcer sa redevabilité en créant des indicateurs adaptés et en collectant des données régulières sur l’accès à l’eau et à l’assainissement de toutes les personnes présentes sur son territoire, y compris celles en situation de grande précarité. 

  • Plus d’informations sur les chiffres de l’accès à l’EAH en France ici  

[1] France Hors Mayotte 

[2] FNASAT, « Ancrage et besoins en habitat des occupants permanents de résidence mobile », 2016 

[3] Ce chiffre comprend les logements remplissant au moins un de ces critères : pas d’eau courante, douche, WC intérieurs, coin cuisine, ou moyen de chauffage ou façade très dégradée 

[4]https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2018/03/recensement_campements_-_decembre_2017_final_v2.pdf 

[5] https://www.insee.fr/fr/statistiques/2658587?sommaire=2654964#conformite 

[6] Les départements d’Outre-mer – hors Mayotte – comptaient plus de 35 000 « cases traditionnelles » utilisées comme résidences principales. Recensement population 2014 (France Hors Mayotte) 

[7]Loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique. CGCT. Art. L. 2224-12-1-1. « Les services publics d’eau et d’assainissement sont autorisés à mettre en œuvre des mesures sociales visant à rendre effectif le droit d’accéder à l’eau potable et à l’assainissement dans des conditions économiquement acceptables par tous… » 

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