Décryptage

Les chiffres de l’accès à l’eau et à l’assainissement en France

Chiffres estimes du non accès à l’eau en France

En l’absence de données chiffrées nationales claires, centralisées et disponibles facilement, la Coalition Eau utilise les estimations ci-dessous.

En France métropolitaine :

Si 99% de la population a accès à un réseau d’alimentation en eau et que 99,7% des français ont des toilettes à domicile (Insee, enquête logement 2013), l’accès à l’eau potable et à l’assainissement demeure problématique pour plusieurs centaines de milliers de personnes vivant sans un accès permanent à de l’eau potable, à des toilettes ou à des conditions d’hygiène suffisantes.

Plus d’un million de ménages ont du mal à payer leurs factures d’eau[1] : 1 210 000 locataires en impayés de loyers ou de charges (Enquête Nationale Logement 2013, calculs Fondation Abbé Pierre).

On estime à 173 000 personnes vivant sans WC à l’intérieur de leur logement et à 117 000 personnes sans douche (Eurostat).

Selon la Fondation Abbé Pierre, dans son 28e rapport sur le Mal Logement (2023) :

  • 330 000 personnes sont sans domicile fixe
  • 100 000 personnes vivent dans des habitats de fortune[2]

En Outre-Mer :

Des données sont accessibles dans différents rapports parlementaires, diagnostics ou audits officiels :

  • A Mayotte: 31,5% des familles vivent sans eau courante, 17% du budget est consacré au paiement des factures d’eau, 4 logements sur 10 sont en tôle[3]
  • A La Réunion: 46% des usagers sont alimentés par des réseaux qui ne garantissent pas une sécurité sanitaire satisfaisante[4]
  • En Guadeloupe : des coupures d’eau sont quotidiennes et affectent les institutions publiques, structures de santé et établissements scolaires. 400 000 personnes sont régulièrement privées d’accès à l’eau. Plus de 60% de l’eau est perdue avant d’arriver au robinet. Plus de 70% des stations d’assainissement non conformes. En outre, il existe une pollution massive au chlordécone, un pesticide extrêmement toxique, même dans l’eau embouteillée[5]
  • En Martinique : le prix de l’eau est excessif, il existe également une pollution de l’eau au chlordecone ainsi que des restrictions et des tours d’eau quasi quotidiens

DONNEES du JMP sur l’acces eah en france

Des chiffres sur l’accès à l’eau et à l’assainissement au niveau international sont publiés par l’ONU au travers du Joint Monitoring Program de l’OMS et de l’UNICEF. Le dernier rapport a été publié en juin 2021 « 2000-2020 : Progress on household drinking water, sanitation and hygiene, five years into the SDGs » (accessible en ligne ici). 

Le JMP est en charge du suivi mondial des cibles des Objectifs de développement durable (ODD) relatives à l’EAH. Il produit des estimations des progrès réalisés en matière d’eau potable, d’assainissement et d’hygiène (EAH), présentées sur washdata.org, pour chaque pays, dont la France, et au niveau international. Les données fournies dans les rapports mondiaux du JMP sont largement utilisées comme base de référence par l’ensemble des acteurs. Cependant, la méthodologie fait face à de nombreuses limites : les données comportent une marge d’erreur et sont donc à prendre avec précaution.

Rappel sur l’ODD 6 et ses indicateurs

  • Les cibles

L’Objectif de Développement Durable de l’Agenda 2030 vise à « assurer la disponibilité et la gestion durable de l’eau et de l’assainissement pour tous » d’ici à 2030. Parmi ses 8 cibles, il intègre deux cibles relatives à l’accès à l’eau potable, à l’assainissement et à l’hygiène :

  1. D’ici à 2030, assurer l’accès universel et équitable à l’eau potable, à un coût abordable
  2. D’ici à 2030, assurer l’accès de tous, dans des conditions équitables, à des services d’assainissement et d’hygiène adéquats et mettre fin à la défécation en plein air, en accordant une attention particulière aux besoins des femmes et des filles et des personnes en situation vulnérable

Ces cibles 6.1 et 6.2 sont les deux cibles suivies et évaluées dans le cadre du JMP.

  • Indicateurs de mesure utilisés pour le suivi mondial des cibles 6.1 et 6.2

L’Agenda 2030 pour le développement durable établit des indicateurs ambitieux pour les services EAH dans le cadre des cibles 6.1 et 6.2, basé sur la notion d’accès à un « service d’eau potable géré en toute sécurité » et à un « service d’assainissement géré en toute sécurité » (GTS).

Plus précisément, ces deux indicateurs sont :

  • 1.1 – Proportion de la population utilisant des services d’alimentation en eau potable gérés en toute sécurité
  • 2.1 – Proportion de la population utilisant a) des services d’assainissement gérés en toute sécurité et b) notamment des équipements pour se laver les mains avec de l’eau et du savon

Pour en assurer le suivi, le JMP a établi une échelle graduelle de mesure de niveaux d’accès, allant de « pas d’accès » à un service « géré en toute sécurité ». Le tableau en annexe présente la définition correspondant à chaque niveau d ‘accès.

Les chiffres présentés pour la France par le JMP

  • Dans l’hexagone

Selon les chiffres du JMP 2021 (accessibles dans la base de données washdata.org ici) :

Eau potable :

A ce jour, sur les 64,8 millions d’habitant.es que compte la France métropolitaine, les chiffres du JMP indiquent que 100% de la population française serait raccordée au réseau d’eau dont 99,2% de la population avec un accès géré en toute sécurité et 0,8% avec un accès à des services élémentaires (soit environ 490 300 personnes). Pour l’accès à des services élémentaires, ce chiffre diminue à 0,4% en zone urbaine (soit environ 188 500 personnes)[6].

Ces chiffres sur l’accès à des services qui ne seraient pas gérés en toute sécurité (GTS) peuvent faire référence à plusieurs types de situations :

  • Les personnes vivant sur un territoire où la qualité de l’eau est insuffisante (matières fécales, arsenic ou fluor) et impropre à la consommation
  • Les personnes n’ayant pas accès à une source d’eau à l’intérieur de leur domicile : notamment en zone rurale, lorsque le logement n’est pas raccordé à un réseau d’eau et où la source d’eau se trouve à l’extérieur du domicile

Assainissement :

L’accès à des installations sanitaires gérées en toute sécurité est estimé à 78,6% de la population française métropolitaine. 20,1% de la population a un accès à des services élémentaires (soit environ 13 093 300 personnes) et 1,4% à des services limités (soit environ 882 800 personnes)[7].

Pour l’assainissement, l’accès non GTS peut recouvrir une diversité de situations :

  • les déjections ne sont pas « traitées sur place en toute sécurité ou transportées et traitées hors du site »;
  • les personnes n’ont pas accès à une installation sanitaire améliorée (toilettes à chasse d’eau vers un réseau d’égout ou une fosse septique, latrine améliorée à fosse ventilée, latrine à fosse avec dalle, toilettes à compostage) ;
  • elles partagent une toilette avec d’autres ménages.

Hygiène :

Aucun chiffre 

  • Dans les Outre-Mer 

Les chiffres concernant l’accès à l’eau et à l’assainissement dans les territoires ultramarins ne sont pas comptabilisés avec ceux de l’hexagone, tant les écarts sont importants, avec des taux d’accès à l’eau et à l’assainissement bien inférieurs à ceux de l’hexagone.

Selon les chiffres du JMP 2021[8] :

Guyane Française

  • Eau Potable : 90,6% de la population a un accès GTS, 3,2% à des services élémentaires, 6,2% un accès non amélioré
  • Assainissement : 92,4% de la population a au moins un accès élémentaire, 7,6% a un accès non amélioré

Mayotte

  • Eau Potable : 93,4% de la population a accès à des services GTS, 2,9% a des services élémentaires (7970 personnes), 3,6% a des services non améliorés (9900 personnes)
  • Assainissement : 100% de la population a au moins accès à des services élémentaires

Guadeloupe

  • Eau Potable : 97,6% de la population a accès à des services GTS, 2,2% à des services élémentaires (8868 personnes), 0,2% à des services non améliorés (788 personnes)
  • Assainissement : 99,7% de la population a accès au moins à des services élémentaires, 0,3% à des services non améliorés

Martinique

  • Eau Potable : 99,1% de la population a accès à des services GTS, 0,8% à des services élémentaires (2944 personnes), 0,2% à des services non améliorés (593 personnes)
  • Assainissement : 99,5% de la population a au moins accès à des services élémentaires, 0,5% à des services non améliorés

La Réunion

  • Eau Potable : 94,3% de la population a accès à des services GTS, 5,4% à des services élémentaires (2944 personnes)
  • Assainissement : 99,5% de la population a au moins accès à des services élémentaires, 0,5% à des services non améliorés
  • Base de données

Les chiffres avancés pour décrire la situation en France, dans le rapport du JMP, sont issus de données statistiques nationales qui sont remontées au niveau onusien. Pour la France, plusieurs sources sont utilisées : enquête logement INSEE 2013, Eurostat, OCDE, protocole eau et santé de l’UNECE

principales limites

Les données du JMP ne permettent pas de refléter fidèlement la situation de l’accès à l’eau potable et à l’assainissement en France métropolitaine et en Outre-Mer.

  • Un système de collecte de données lacunaires

En France, il existe un enjeu majeur de production de données chiffrées et qualitatives sur les situations de manque d’accès physique et/ou abordable à l’eau et à l’assainissement.

De nombreuses données sur l’eau existent mais elles ne sont pas accessibles sur une seule et même plateforme.

Et si des outils existent pour rendre ces données disponibles, celles-ci ne sont pas toujours complètes. Par exemple, le principal système de collecte concernant la gestion de l’eau et de l’assainissement est le Système d’information sur les services publics d’eau et d’assainissement – SISPEA – qui alimente l’Observatoire national des services publics d’eau et d’assainissement. Néanmoins, les données du SISPEA sont parcellaires ou manquantes du fait de difficultés constatées dans la remontée et le renseignement des informations : seules 4800 collectivités, sur 13000, ont rempli les informations les concernant.

Par ailleurs, les données les plus récentes utilisées par le JMP datent de 2016/2017 (selon qu’il s’agisse d’Eurostat ou de l’Insee) parfois plus pour les Outre-Mer. La dernière enquête logement de l’Insee (qui permet d’avoir des chiffres sur les problématiques d’accès et de précarité en eau) date elle de 2013.

Les chiffres proposés sont donc basés sur des estimations et des projections jusque 2020.

  • Des indicateurs ODD incomplets

Pour mener le suivi de l’Agenda 2030 au niveau national, la France s’est dotée de son propre jeu d’indicateurs et a produit un tableau de bord de 98 indicateurs de suivi national des objectifs de développement durable.

Concernant l’ODD6, les indicateurs de suivi français sont :

Les indicateurs déterminés par la France pour le suivi de son atteinte de l’ODD 6 portent principalement sur les enjeux biologiques / de qualité de l’eau, ainsi que sur les problématiques de rendements et de gestion de la ressource en eau. Aucun indicateur ne permet de suivre les enjeux d’accès à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène. Les données disponibles dans le JMP mettent donc principalement en relief le fait que l’eau distribuée en France est exempte de contamination chimique et fécale.

Ce système de collecte de données sur l’eau ne permet pas d’évaluer et de suivre dans le temps les enjeux d’accès à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène, avec une évaluation notamment de :

  • Des enjeux d’accessibilité physique permanente à l’eau et à l’assainissement, en particulier pour les non raccordés (voir point ci-dessous)
  • L’état et les services d’accès à l’hygiène et à hygiène menstruelle
  • L’existence et l’état des infrastructures publiques d’eau et d’assainissement (réseaux mais aussi fontaines, toilettes, douches publiques)
  • La régularité de l’accès (persistance de coupures d‘eau dans les outre-mer)
  • Le coût de l’eau et son poids dans le budget des ménages (notamment pour la tranche des revenus les plus faibles)
  • Les installations d’eau, d’assainissement et d’hygiène dans les établissements scolaires et universités
  • Non prise en compte des non raccordés au réseau

Les outils statistiques existants ne permettent pas d’analyser les problématiques de pauvreté en eau et de non raccordement à l’eau et à l’assainissement de certaines populations. Les chiffres présentés pour la France ne prennent pas en compte les situations de manque d’accès à l’eau et à l’assainissement pour les populations les plus précaires :

  • Les personnes vivant dans des habitats de fortune, squats ou bidonvilles, sans raccordement au réseau d’eau et d’assainissement, sans point d’accès à l’eau adapté et sans toilettes
  • Les « gens du voyage » subissant de mauvaises conditions d’habitat ou sans accès à une place dans les aires d’accueil aménagées
  • Les personnes sans domicile fixe, les personnes exilées, dépendantes des points d’accès à l’eau publics et des toilettes publiques ou de politiques sociales de l’eau
  • Les personnes devant partager leurs toilettes avec leurs voisins : il existe encore de nombreux logements proposant des toilettes partagées sur le palier.

Pour l’hexagone, les données se basent sur le recensement officiel (population française) et les raccordés au réseau : cela exclut de fait les populations les plus précaires non raccordées et sans droit ni titre. Les chiffres ne permettent donc pas d’avoir une vision précise des personnes sans eau en France.

  • L’assainissement non collectif considéré comme un service « élémentaire »

Contrairement au rapport du JMP publié en 2019, les chiffres présentés en 2021 semblent exclure du niveau « géré en toute sécurité » (GTS) les systèmes d’assainissement autonomes ; ce qui explique le pourcentage élevé de 20,1% de la population métropolitaine qui n’a accès qu’à un niveau « élémentaire ».

Les systèmes d’assainissement non collectif sont pourtant un service d’assainissement répandu en France (géré sous le régime des SPANC) : on compte environ 5,8 millions d’abonnés en assainissement non collectif (12,4 millions d’habitants desservis). Si en 2016, 59,9 % des dispositifs d’assainissement non collectif[9] ne se trouvaient pas en conformité (par rapport aux normes sanitaires et environnementales en vigueur), les SPANC reste un service de gestion de l’assainissement pertinent dans certaines zones rurales, pas toujours simples à raccorder au réseau.

  • Des chiffres sous-estimés pour l’Outre-mer

Les données présentées pour les Outre-mer par le JMP sont largement sous-évaluées et partielles. Elles sont loin de représenter la réalité constatée et reconnue par les autorités françaises elles-mêmes.

Beaucoup de données sont incomplètes sur washdata.org et excluent de fait les personnes présentes illégalement, non raccordées au réseau, ainsi que celles subissant des coupures d’eau ou buvant une eau non conforme.

Des données sont accessibles dans différents rapports parlementaires, diagnostics ou audits officiels :

  • A Mayotte: 31,5% des familles vivent sans eau courante, 17% du budget est consacré au paiement des factures d’eau, 4 logements sur 10 sont en tôle[10]
  • A La Réunion: 46% des usagers sont alimentés par des réseaux qui ne garantissent pas une sécurité sanitaire satisfaisante[11]
  • En Guadeloupe : des coupures d’eau sont quotidiennes et affectent les institutions publiques, structures de santé et établissements scolaires. 400 000 personnes sont régulièrement privées d’accès à l’eau. Plus de 60% de l’eau est perdue avant d’arriver au robinet. Plus de 70% des stations d’assainissement non conformes. En outre, il existe une pollution massive au chlordécone, un pesticide extrêmement toxique, même dans l’eau embouteillée[12]
  • En Martinique : prix de l’eau excessif, empoisonnement au chlordécone, restrictions et tours d’eau au quotidien

L’ensemble des DROM et COMs n’ont pas de données complètes permettant une vision précise des situations vécues. Il est nécessaire de rechercher dans plusieurs sources complémentaires afin de compléter cette vision.

conclusion

Les outils statistiques existants sont lacunaires : il n’existe aucune étude ni données au niveau national sur la pauvreté en eau et les données, quand elles existent, sont partielles et se trouvent éparpillées sur différentes plateformes ou rapports.

Cette absence de visibilité et d’état des lieux clair ne permet pas d’apporter des solutions adaptées aux situations des personnes qui n’ont pas accès à l’eau et à l’assainissement. Ces populations restent invisibles et leurs quotidiens méconnus des décideurs, alors qu’il en va de leur responsabilité de garantir leur droit humain à l’eau et à l’assainissement.

Cela nécessite que les enjeux d’accès à l’eau et à l’assainissement sur le territoire français soient identifiés et fassent l’objet d’une redevabilité de la part des acteurs publics.

C’est pourquoi, l’Etat français doit prendre action en collectant des données régulières sur l’accès à l’eau et à l’assainissement sur son territoire et en renforçant son cadre de redevabilité via l’utilisation accrue des mécanismes internationaux (protocole Eau et Santé ; agenda 2030, etc.).

[1] Un consensus existe au niveau des pays de l’OCDE considérant que le prix de l’eau devient inabordable lorsque la facture d’eau dépasse 3 % des revenus effectifs du ménage.

[2] France Hors Mayotte

[3] Rapport de la commission d’enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, 2021 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/ceeau/l15b4376_rapport-enquete.pdf

[4] Rapport de la commission d’enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, 2021 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/ceeau/l15b4376_rapport-enquete.pdf

[5] Rapport de Soumission d’informations pour un Appel urgent à l’eau potable en Guadeloupe (France) du collectif Eau Secours

[6] Les chiffres en valeur absolue sont issus de calculs réalisés par la Coalition Eau, sur la base des pourcentages donnés

[7] Idem

[8] Les chiffres en absolu sont issus de calcul réalisé par la Coalition Eau, sur la base des pourcentages donnés

[9] Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement « Panorama des services et de leur performance en 2016 »

[10] Rapport de la commission d’enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, 2021 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/ceeau/l15b4376_rapport-enquete.pdf

[11] Rapport de la commission d’enquête relative à la mainmise sur la ressource en eau par les intérêts privés et ses conséquences, 2021 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/ceeau/l15b4376_rapport-enquete.pdf

[12] Rapport de Soumission d’informations pour un Appel urgent à l’eau potable en Guadeloupe (France) du collectif Eau Secours