Droits à l’eau et à l’assainissement en France

Retour sur la conférence en hommage à Henri Smets

Retour sur cette journée d’hommage

La journée s’est déroulée tout d’abord autour d’un hommage à Henri Smets, en présence de sa famille, puis de trois tables rondes qui ont permis d’aborder les grands enjeux du droit à l’eau en France :

  1. Les enjeux actuels des droits humains à l’eau potable, à l’assainissement et à l’hygiène en France
  2. Quelles politiques sociales pour un accès abordable à l’eau ?
  3. Comment garantir un accès à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène pour les personnes non raccordées ?

La journée s’est conclue avec l’intervention du Rapporteur Spécial aux droits humains à l’eau et à l’assainissement aux Nations Unies, Pedro Arrojo (vidéo à retrouver ici).

Vidéo récapitulative de la journée

les trois tables rondes

1. Les enjeux des droits humains à l’eau potable, à l’assainissement et à l’hygiène en France

  • En France : où en sommes-nous de la reconnaissance du droit à l’eau ? (Bernard Drobenko, Professeur émérite à l’université Côte d’Opale)

L’adoption de la résolution de l’Assemblée Générale des Nations-Unies le 28 juillet 2010 a consacré l’accès à l’eau et à l’assainissement comme un droit humain. Il est ici important de distinguer « accès à l’eau », qui est la capacité pour un Etat, une société, une personne d’être en mesure de pouvoir atteindre les ressources en eau (souterraines, de surface, etc.) et « droit à l’eau » qui relève d’un droit humain. En France, il existe un traitement social de la question du droit au logement qui intègre la question de l’eau mais à ce jour ce droit n’a toujours pas été reconnu en droit interne français (alors que plusieurs Etats européens l’ont reconnu, comme la Slovénie). L’exigence de reconnaissance du droit à l’eau et à l’assainissement en France repose sur une garantie nationale, par l’Etat français, avec une solidarité nationale réelle (via l’impôt, via un fonds dédié alimenté par une taxe par ex.). Les collectivités locales peuvent être associées à cette mise en œuvre, mais seul l’Etat répond de son effectivité devant les Nations Unies. Le prochain défi, la prochaine urgence, est bien cette reconnaissance formelle, expresse, en France du Droit à l’eau et à l’assainissement, comme un droit humain.

Interview de Bernard Drobenko

  • Les enjeux du droit à l’eau identifiés par les ONG (Edith Guiochon, Chargée de mission plaidoyer, Coalition Eau)

Les droits à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène en France se traduisent par plusieurs critères : la disponibilité de l’eau, son accessibilité physique, son accessibilité économique, sa qualité et son acceptabilité. En France, la non effectivité du droit à l’eau et à l’assainissement se traduit notamment par (1) un manque d’accès physique au réseau de distribution d’eau, (2) un prix inabordable des factures d’eau pour les ménages les plus précaires et enfin (3) des enjeux exacerbés dans les Départements et Régions d’Outre-Mer. En effet dans ces territoires, l’eau n’y est toujours pas disponible ni accessible en continu, elle est très chère et souvent impropre à la consommation. Enfin, le manque de données précises et actualisées sur les populations concernées par un manque physique d’accès à l’eau et à l’assainissement est un véritable enjeu en France. L’absence de données et de suivi invisibilise la problématique du non accès à l’eau et à l’assainissement et ne permet pas d’envisager des solutions politiques adaptées aux situations des personnes qui n’ont pas accès à l’eau et à l’assainissement.

Interview d’Edith Guiochon

https://www.youtube.com/watch?v=EfeQ2njKxBA

  • Focus sur le droit à l’eau en Guadeloupe (Clémentine Pagnol, Avocate à Pointe-à-Pitre, Guadeloupe)

En Guadeloupe, la situation du droit à l’eau est critique : coupures d’eau, manque d’infrastructures, habitats insalubres et précaires, réseaux défaillants et fuites d’eau sont le quotidien de nombreuses personnes. Les guadeloupéens n’ont ainsi pas un accès à l’eau garanti sur l’ensemble du territoire, de manière continue et quotidienne et l’eau disponible n’est pas toujours potable. La population de l’île souffre de la contamination par le chlordécone depuis les années 70 et de l’absence de services et d’infrastructures efficaces s’agissant de l’approvisionnement en eau. La crise de l’eau en Guadeloupe et dans l’ensemble des territoires d’Outre-Mer nécessite à la fois de prendre des mesures d’urgence afin de rétablir et garantir l’accès à l’eau et à l’assainissement à toutes et tous, ainsi que des mesures de long-terme pour engager un rattrapage en matière de maillage des réseaux et d’efficience des services d’eau et d’assainissement dans les DROMs.

2. Quelles politiques sociales pour un accès abordable à l’eau ?

  • Quelles politiques sociales pour l’eau ? (Marie Lehouck, Cheffe du bureau de la politique de l’eau, Ministère de la Transition Ecologique)

En France, des politiques sociales de l’eau ont été mises en place depuis la loi « Brottes » (2013) qui a généralisé l’interdiction des coupures d’eau et qui a ouvert aux collectivités la possibilité d’expérimenter la mise en œuvre de mesures sociales en faveur de l’accès à l’eau potable. Une cinquantaine de collectivités ont pu tester différentes mesures sociales d’accès à l’eau, concernant 11 millions de français sur presque tout le territoire. La loi engagement et proximité de décembre 2019 autorise les collectivités à modifier leurs tarifs de l’eau de façon à réduire le prix de l’eau pour les personnes démunies. Depuis l’Etat accompagne les collectivités dans la mise en place de leurs propres dispositifs (aides forfaitaires, mesures tarifaires…) au travers d’une boite à outils sur la « politique sociale de l’eau ».

Interview de Marie Lehouck

  • La tarification sociale : outil indispensable pour soutenir les « ménages pauvres en eau » (Marie Tsanga Tabi, Ingénieure de recherche à l’INRAE-ENGEES)

Des difficultés croissantes d’inaccessibilité financière et d’inégalité d’accès à l’eau qui étaient jusque-là peu perceptibles, se posent de plus en plus pour la nouvelle catégorie de ménages qualifiés de « pauvres en eau ». Parmi les mesures légales préconisées pour lutter contre les problèmes d’accès à l’eau, la tarification sociale, qui entend résoudre les problèmes d’inégalité et d’inéquité d’accès à l’eau, figure comme un outil indispensable des collectivités territoriales. Or, deux questions centrales restent à ce jour non élucidées et non tranchées lorsqu’il s’agit de penser une tarification sociale de l’eau. La première concerne la mesure de l’impact social sur les populations pauvres et vulnérables des politiques tarifaires de l’eau ; la seconde renvoie à la définition du niveau de prix de l’eau soutenable pour ces populations. C’est l’explicitation de ces deux volets de la finalisation stratégique des politiques locales du droit à l’eau, et la question des critères de définition d’un accès soutenable à l’eau que les recherches de Marie Tsanga tentent d’éclaircir.

  • Un exemple d’engagement d’une collectivité au travers de la régie publique Eau de Paris (Benjamin Gestin, Directeur Général d’Eau de Paris)

Eau de Paris se mobilise pour faire de l’accès universel à l’eau une réalité parisienne. La régie a mis en place plusieurs actions en ce sens avec notamment un tarif de l’eau le plus bas possible (1,06 euros le m3 à Paris), une contribution annuelle au Fond de solidarité pour le logement à hauteur de 500 000 euros, la réduction de la consommation d’eau en s’appuyant sur des partenaires associatifs, la mise à disposition 1200 fontaines publiques et gratuites accessibles pour les personnes non-raccordées, le maintien de 16 bains douches publics, et enfin l’installation d’équipements d’eau potable sur les camps de migrants (fontaines temporaires, rampes à eau).

3. Comment garantir un accès à l’eau, à l’assainissement et à l’hygiène pour les personnes non raccordées ?

  • Les enjeux de l’accès à l’eau et à l’assainissement pour les non-raccordés (Manon Gallego, Cheffe de mission France chez Solidarités International)

Solidarités International intervient dans les squats et les bidonvilles de France pour garantir des raccordements à l’eau pour des personnes qui vivent aujourd’hui sans accès à l’eau continu ou avec un niveau d’accès au service de base en dessous des standards humanitaires en vigueur. La tension et les difficultés d’accès à l’eau comportent pour les personnes des risques multiples : accidentels, sanitaires, judiciaires mais également environnementaux. Des solutions techniques « simples à mettre en œuvre » existent et des territoires ont su inventer des solutions de gouvernance pour intervenir.

Mais l’absence d’une définition normative adaptée à la France, tant sur la quantité d’eau nécessaire que sur des critères qualitatifs comme la distance « acceptable » du point d’eau ou le nombre de personnes par point d’eau, rend difficile la mise en place de solutions durables. On observe aussi une grande disparité des situations entre les territoires. L’absence de définition claire des compétences de ces acteurs a pour conséquence le fait que la question de l’eau est très tributaire d’une volonté politique et d’un volontarisme des associations locales : les responsabilités de chaque acteur en matière d’eau potable pour les « non raccordés » doivent être clairement définies et avalisées dans un document ayant force de loi.

  • Combattre les idées reçues sur les bidonvilles (Manuel Demougeot, Directeur du pôle « résorption des bidonvilles », Direction interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement)

La DIHAL travaille sur la résorption des bidonvilles au travers de la construction de politiques publiques d’accès aux droits, à l’emploi, à la scolarité pour sortir de la logique des évacuations sans fin. L’accès à l’eau est un véritable levier pour l’insertion des personnes et donc pour la résorption des bidonvilles. Mais les défis sont nombreux. La DIHAL remarque notamment une très forte résistance sur les territoires, notamment de la part des préfectures, qui préféreraient évacuer les habitants des bidonvilles plutôt que de les assister, par peur de voir le site s’installer dans la durée. C’est pourquoi il est nécessaire de lever les idées reçues pour agir. La DIHAL a lancé en 2018 la plateforme « Résorption Bidonville » pour faire face au manque de données sur les bidonvilles (recensement des sites et situation des habitants) et encourager une meilleure collaboration entre acteurs. La plateforme a déjà fait ses preuves en permettant d’identifier très rapidement les situations les plus problématiques concernant l’accès à l’eau potable et de mobiliser les acteurs territoriaux.

  • L’action d’une collectivité pour assurer l’accès à l’assainissement et à l’hygiène (Maxime Ghesquière, Conseiller municipal, cycle de l’eau, Bordeaux)

L’accès à l’eau s’est beaucoup amélioré dans la métropole de Bordeaux depuis la pandémie de Covid, mais l’accès à l’assainissement reste un réel problème sur les sites non raccordés au réseau. Sur un des sites, des toilettes chimiques ont été installées mais elles représentent un coût très important pour la collectivité. La métropole travaille actuellement sur la mise à disposition de toilettes sèches et de toilettes à litière bio-maîtrisée. Le bilan de ces nouveaux dispositifs reste encore à ce jour mitigé, notamment du fait de conflits d’usages importants et de la difficulté d’effectuer un suivi dû à la rotation des occupants. Garantir l’accès à l’eau et à l’assainissement sur les sites non raccordables reste un défi pour les collectivités, qui ne pourra être relevé sans une coopération plus rapprochée des acteurs locaux.

Interview de Maxime Ghesquière

  • L’accès aux bains-douches et à l’hygiène, un enjeu du droit à l’eau (Lucie Bony, chargée de recherche CNRS, géographe et sociologue)

Les bains-douches sont des outils indispensables de l’effectivité d’un accès à l’eau et à l’hygiène pour tous. Pourtant, il y a en France de fortes disparités territoriales en la matière et peu de villes ont maintenu ouverts leurs bains douches publics. Les bains-douches existants sont en grande majorité concentrés dans la ville de Paris, mais depuis quelques années des projets de bains-douches sont soutenus et portés par les associations et la société civile, poussant les municipalités à s’engager, notamment à Marseille, à Lyon ou encore à Saint-Denis.

  • Des Actes complets des échanges de la journée seront édités courant 2023.

Remerciements

La Coalition Eau adresse ses remerciements :

  • À l’Académie de l’Eau, pour la co-organisation de cette journée
  • À Eau de Paris (Benjamin Gestin et ses équipes) pour l’accueil au Pavillon de l’eau
  • Aux éditions Johanet pour la publication des ouvrages d’Henri Smets et pour l’édition du flyer spécial pour cette journée d’hommage à Henri Smets
  • À la famille d’Henri Smets pour sa présence
  • À l’ensemble des participants à cette journée, pour leur intérêt porté aux thématiques abordées.

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