Paris, le 29 juillet 2025 – À une semaine de l’ouverture de la dernière session de négociations (INC 5.2) sur la pollution plastique, mardi 5 août à Genève, la question de l’adoption d’un traité international reste en suspens.
Les associations et réseaux d’associations, Coalition Eau, No Plastic In My Sea, Surfrider Foundation Europe et Zero Waste France, rappellent qu’au vu des connaissances scientifiques alarmantes sur les enjeux environnementaux et sanitaires de la pollution plastique, les pays dits “ambitieux” ont la responsabilité d’aboutir à un texte conforme au mandat initial, juridiquement contraignant et ayant pour principe central la réduction de la production mondiale des plastiques, ainsi que la réduction, voire l’élimination, des produits et substances problématiques.
Une base de négociations à challenger : le texte du Président du CIN (Comité International de négociations) et le principe du consensus onusien
Prévue pour être l’aboutissement de 2 ans de négociations sur la pollution plastique, conformément à la résolution de l’Assemblée des Nations Unies pour l’Environnement (UNEA) adoptée en mars 2022, la cinquième session à Busan en Corée fin 2024, n’a pas permis d’aboutir à un traité. Les discussions se poursuivront donc lors d’une session dite 5.2, à Genève du 5 au 14 août prochain, sur la base du texte du Président du Comité international de négociations (CIN) Luis Vayas Valdivieso proposé le 1er décembre 2024.[1] Or, le texte est moins ambitieux que des versions précédentes (notamment le draft zero du traité de 2023[2]) sur plusieurs points cruciaux (principes, réduction de la production, substances chimiques…) et présente de nombreuses options contradictoires.
D’autre part, si l’Appel de Nice[3] a rassemblé en juin 96 pays (sur 175) en faveur de la réduction de la production mondiale de plastique et des additifs chimiques, les opposants à un traité ambitieux se sont montrés inflexibles lors des rencontres récentes. A cet égard, le principe du consensus, rappelé par le Président dans la note de scénario des négociations[4], peut être utilisé par certains États pour réduire encore l’ambition du texte, malgré les alertes scientifiques[5].
Les enjeux sont à la fois de réhausser l’ambition du texte, de mettre en place des mécanismes pour éviter les conflits d’intérêt, de faire pression pour recourir au vote et de garantir des mécanismes d’optimisation du traité dans le temps. Les pays doivent pouvoir prendre des décisions sur des questions importantes à la majorité des voix, lorsque le consensus ne peut être atteint, afin d’éviter qu’une poignée de pays peu ambitieux n’affaiblissent le traité.
600 associations interpellent leur gouvernement sur l’incontournable réduction de la production (article 6 du texte)
Comme le rappelle la coalition scientifique pour un traité efficace, la pollution plastique cause des dommages considérables sur la santé humaine, l’environnement, le climat, et la biodiversité, et porte également atteinte aux droits humains[6]. Des objectifs contraignants de réduction de la production de plastique sont incontournables pour réduire ces impacts[7].
Aussi, l’article 6 (“approvisionnement ou production durable”) doit impérativement maintenir l’objectif contraignant de réduction de la production, qui devra être chiffré le plus rapidement possible en fonction de données scientifiques.
Afin de limiter l’influence grandissante des pays pétroliers et producteurs de plastique, opposés à cette réduction, plus de 600 associations mobilisent actuellement les citoyens et leur gouvernement sur une position ambitieuse du traité, avec pour principe central la réduction de la production mondiale de plastique[8].
Concrétiser l’ambition globale via des restrictions de produits en plastique (article 3 et annexes)
L’article 3 est crucial pour rendre opérationnel l’article 6, en restreignant un certain nombre de plastiques problématiques, notamment à usage unique, et de substances chimiques. En l’état, il comprend de nombreuses options de rédaction contradictoires et inclut des annexes limitées.
Il est essentiel que les négociations permettent de finaliser un texte contraignant et exhaustif qui inclut à la fois des interdictions et des objectifs de réduction sur les produits qui contribuent de manière importante à la pollution plastique.
130 associations de 5 continents appellent à réduire drastiquement les bouteilles en plastique
Les annexes proposées à l’article 3 (annexe X et Y) – visant uniquement à interdire certains produits – doivent être complétées pour inclure des listes de produits à réduire à l’échelle mondiale, et notamment la bouteille en plastique, 2ème déchet plastique le plus polluant au plan international[9]. A ce sujet, l’association No Plastic In My Sea et la Coalition Eau, avec le soutien de 130 associations des 5 continents signataires appellent à une réduction drastique de la production de bouteilles en plastique et au renforcement de l’accès universel aux services d’eau.
La coalition scientifique, relève également qu’en l’état les restrictions en annexe sont très limitées et ne permettent qu’ ”une modeste réduction de 17% de la pollution plastique”[10] ; et indique que “ l’inscription sur la liste d’autres produits en plastique largement répandus dans l’environnement (par exemple, les bouteilles en plastique et les bouchons) contribuerait de manière significative à réduire la pollution plastique”.
Globalement, les critères prioritaires pour définir les produits et substances à interdire et réduire devraient reposer sur le caractère non essentiel, la dangerosité / toxicité, le poids dans la pollution plastique et microplastique (généralement lié à l’usage unique, au volume mis sur le marché, au risque de fragmentation /dispersion).
Ainsi, les produits d’emballage, qui représentent 40% de la production de plastique devraient impérativement être intégrés aux restrictions de l’article 3 (interdiction de petits formats type sachet…).
Il est également crucial que ces listes puissent être progressives et permettre l’ajout de nouvelles substances ou produits chimiques lors des COP qui suivront l’adoption du Traité.
Limiter la pollution aux microplastiques et la pollution liée aux produits du tabac
L’efficacité du Traité dépendra également de sa capacité à limiter la pollution aux microplastiques, une pollution invisible mais aux impacts colossaux. En ce sens, la proposition du texte du Président envoie un premier signal positif en proposant d’inclure les microplastiques intentionnellement ajoutés (par exemple dans les cosmétiques ou détergents).
Un autre signal positif envoyé par le texte actuel est l’intégration des filtres de cigarettes dans l’annexe X listant les produits à éliminer. En effet, les mégots sont le déchet le plus collecté sur les plages et sont à l’origine de la pollution chimique et micro plastique de l’Océan (le filtre de cigarette étant composé d’acétate de cellulose, un type de plastique)[11]. Une source de pollution considérable, un seul mégot pouvant polluer jusqu’à 1000 L d’eau.
Pour Surfrider Foundation Europe, pour mettre fin à cette pollution, la solution la plus efficace est d’interdire l’usage et la production des filtres de cigarettes, un produit marketing de l’industrie du tabac qui ne présente aucun bénéfice pour la santé humaine, comme prouvé par l’OMS[12] mais aux impacts environnementaux considérables. Si le texte mentionne pour le moment les “filtres de cigarettes en plastique”, il est crucial que les Etats qui ont déjà une législation ambitieuse exigent une extension à tous les filtres de cigarettes, filtres biodégradables y compris.
Promouvoir des alternatives durables et ne pas céder aux fausses solutions
Surfrider Foundation Europe alerte sur le fait d’ériger les plastiques biodégradables ou biosourcés comme des solutions pour mettre fin à la pollution plastique. Ces fausses solutions largement plébiscitées par l’industrie sont composées en partie de pétrole, ont un processus de fabrication polluant et une fin de vie similaire aux plastiques conventionnels, et finissent très souvent leur vie dans la nature (leur dégradation étant possible dans des conditions non réunies dans la nature). De plus, pour bon nombre de produits plastiques à usage unique, des alternatives existent, dont le réemploi.
Sortir de l’économie linéaire et du tout-jetable : un objectif à renforcer dans l’article 5 (conception des produits en plastique)
Le futur traité mondial sur les plastiques ne pourra être efficace que s’il s’attaque aux causes profondes de la pollution, à commencer par le modèle linéaire de production et de consommation basé sur le tout-jetable. L’article 5 devrait jouer un rôle structurant dans cette transition. Pourtant, dans sa formulation actuelle, il demeure centré sur le recyclage et la réduction des pertes de microplastiques, sans aborder de manière suffisamment ambitieuse la réduction à la source ni la généralisation du réemploi. Cette vision partielle risque de limiter considérablement la portée de l’article 6, qui vise à encadrer la production de plastique.
Pour être à la hauteur des enjeux, l’article 5 devrait clairement intégrer des objectifs explicites de réduction des plastiques à usage unique, de développement de systèmes de réemploi, et d’élimination progressive des substances chimiques dangereuses tout au long de la chaîne de valeur, depuis les matières premières jusqu’aux emballages et aux systèmes de distribution. Comme le souligne la Coalition scientifique pour un traité efficace, l’intégration d’une conception véritablement circulaire constitue un levier indispensable pour réduire à la fois la pollution plastique et la pression sur les ressources naturelles. Cela suppose d’adopter une définition ambitieuse de la circularité, incluant dès la conception les principes de durabilité, de réutilisation et de sobriété.
Éviter une gestion des déchets centrée sur des traitements polluants (article 8)
L’article 8, relatif à la gestion des déchets plastiques, s’appuie sur les principes de la Convention de Bâle de 2014[13], en promouvant une gestion dite “écologiquement rationnelle”. Toutefois, en l’état, il reste permissif à l’égard de pratiques à fort impact environnemental comme l’incinération des déchets plastiques, leur valorisation énergétique ou encore leur recyclage chimique. Or, ces technologies ne permettent ni de sortir de la logique du tout-jetable, ni de réduire les volumes de plastique mis sur le marché. Au contraire, elles peuvent freiner les efforts de prévention et maintenir une dépendance aux plastiques issus de ressources fossiles, tout en générant des émissions de gaz à effet de serre et des résidus toxiques.
Pour être cohérent avec les objectifs environnementaux et sanitaires du traité, l’article 8 devrait donner la priorité à la prévention, à la réduction des déchets plastiques et à leur gestion sûre et durable. Cela implique de clarifier les technologies à exclure du champ des “solutions”, notamment l’incinération, la pyrolyse ou le recyclage chimique, et d’établir des critères rigoureux pour garantir des méthodes de traitement compatibles avec la santé humaine, la protection de l’environnement et les objectifs climatiques.
Point positif à conserver : le texte actuel mentionne la prévention des fuites dans l’environnement, l’abandon de détritus et la réduction des pertes des engins de pêche, qui constituent une source majeure de pollution plastique.
Développer des financements orientés vers la réduction des plastiques (article 11)
Le financement de la transition constitue un levier déterminant pour assurer la réussite du traité. L’article 11 évoque notamment la mise en œuvre de dispositifs de responsabilité élargie du producteur (REP), qui constituent une application du principe pollueur-payeur. Zero Waste France alerte sur le fait que ces systèmes de REP doivent devenir de véritables instruments de transformation en favorisant en priorité la réduction à la source et l’adoption de solutions de réemploi.
Pour atteindre ces objectifs, les REP ne doivent pas se limiter à financer la gestion des déchets, mais intervenir dès l’amont pour réduire la mise sur le marché de produits plastiques non essentiels ou non recyclables. Cela implique la mise en place de mécanismes incitatifs efficaces, tels que des bonus-malus ambitieux, l’exclusion des produits contenant des substances dangereuses ou non recyclables, un suivi transparent des résultats et une gouvernance incluant la société civile.
En outre, afin d’éviter le risque de captation du pilotage des systèmes de responsabilité élargie du producteur (REP) par les acteurs privés, ainsi que le manque de transparence qui en résulterait, ces dispositifs doivent reposer sur une gouvernance encadrée, tenant compte des risques de conflit d’intérêt. À ce titre, la suppression du paragraphe 14 de l’article 11 apparaît nécessaire pour lever toute ambiguïté quant au rôle du secteur privé dans le financement de l’instrument. Bien que ses contributions puissent compléter les financements publics, elles ne doivent en aucun cas conduire à une prise d’influence sur la gouvernance ou l’orientation stratégique du mécanisme financier. Dans plusieurs pays, des exemples montrent que le secteur privé dans les REP, peut finir par contrôler des dispositifs qu’il finance partiellement. Supprimer ce paragraphe permettrait ainsi de garantir une gouvernance publique claire et indépendante, centrée sur l’intérêt général.
Les REP ne sauraient être les seuls instruments financiers du traité. D’autres leviers doivent être envisagés, notamment une taxe mondiale sur les polymères plastiques vierges, qui permettrait de mieux impliquer le secteur privé. Enfin, les financements publics et privés ne doivent en aucun cas soutenir des technologies à fort impact climatique ou toxique, ni légitimer des dispositifs peu fiables comme les crédits plastiques. Il est indispensable de privilégier les solutions relevant de la sobriété et de l’économie de matière, telles que le réemploi (“refill and reuse”), afin d’ancrer durablement la transition dans les modèles industriels et les usages du quotidien.
À propos de la Coalition Eau
Fondée en 2007, la Coalition Eau est un collectif de 30 ONG françaises engagées pour les droits humains à l’eau potable et à l’assainissement et pour la préservation et la gestion durable de l’eau, bien commun. Elle regroupe les principales ONG françaises engagées pour les droits humains à l’eau et à l’assainissement et pour l’eau bien commun : ACAD ∙ Action contre la Faim ∙ Better With Water ∙ Bleu Versant ∙ BlueEnergy ∙ CRID ∙ 4D ∙ Dédale ∙ Dynam’eau ∙ EAST ∙ Eau Sans Frontières International ∙ Experts Solidaires ∙ GRDR ∙ GRET ∙ Guinée 44 ∙ Hamap Humanitaire ∙ Human Dignity ∙ Hydraulique Sans Frontières ∙ Initiative Développement ∙ Kynarou ∙ Le Partenariat ∙ Morija ∙ Première Urgence Internationale ∙ Secours Catholique – Caritas France ∙ Secours Islamique France ∙ SEVES ∙ Sillages ∙ Solidarité Eau Europe ∙ Solidarités International ∙ WECF ∙ Wikiwater
Les missions de la Coalition Eau sont :
- Influencer les décideurs, pour des engagements ambitieux et respectés
- Rassembler et représenter les ONG françaises du secteur, pour faire entendre leur voix
- Développer des plaidoyers communs avec les collectifs en France et à l’international, pour renforcer la mobilisation
- Produire une expertise et valoriser nos solutions, pour être force de proposition
- Renforcer nos connaissances et partager nos expériences, pour une plus grande capacité d’action
- Mobiliser les médias et l’opinion publique, pour donner un écho à nos messages
Plus d’informations : www.coalition-eau.org
À propos de No Plastic In My Sea
No Plastic In My Sea : fondée par des citoyens, des amoureux de la mer, des parents soucieux de ne pas laisser une dette environnementale à leurs enfants, l’association No Plastic In My Sea agit contre toutes les formes de pollution plastique et microplastique et contre les risques sanitaires dus à notre surexposition au plastique. Elle conjugue actions de plaidoyer pour réduire les plastiques inutiles et toxiques, mobilisation et promotion des solutions alternatives pertinentes.
À propos de Surfrider Foundation Europe
L’ONG Surfrider Foundation est un collectif d’activistes positifs qui agit concrètement sur le terrain au quotidien pour transmettre aux générations futures un Océan préservé. Notre mission : Porter haut et fort la voix de l’Océan ! Nos armes ? Sensibiliser et mobiliser les citoyens, enfants comme adultes (notamment grâce à 48 antennes bénévoles dans toute l’Europe), utiliser notre expertise scientifique pour porter des actions de lobbying et transformer les entreprises. Découvrez l’association sur https://surfrider.eu/
À propos de Zero Waste France
Zero Waste France est une association citoyenne, créée en 1997, qui milite pour la réduction des déchets et une meilleure gestion des ressources à travers plusieurs types d’actions :
- Influencer les décideurs politiques français et européens pour la création de nouvelles lois plus ambitieuses sur la réduction des déchets.
- Dénoncer et intenter des actions en justice contre les organisations qui ne respectent pas leurs obligations juridiques
- Soutenir et accompagner les acteur·ices de terrain, tel·les que les collectivités et les associations locales
- Informer les citoyen·nes des enjeux, notamment réglementaires, liés à la prévention et à la gestion des déchets.
Contacts
- Coalition Eau : Edith Guiochon | Coordinatrice par intérim | edith.guiochon@coalition-eau.org
- No Plastic In My Sea : Muriel Papin | Déléguée Générale | 07 68 70 54 98 |contact@noplasticinmysea.org
- Surfrider Foundation : Lionel Cheylus | Responsable relations médias | 06 08 10 58 02 | lcheylus@surfrider.eu
- Zero Waste France : Marine Bonavita | Chargée de plaidoyer Zero Waste France / 06 50 37 21 65 | marine.bonavita@zerowastefrance.org
Pour aller plus loin :
[1] Texte du Président du CIN proposé le 1er décembre 2024 comme base pour poursuivre les négociations
[2] Voir le texte du draft zero annoté par le CIEL (Center For International Environmental Law)
[3] Nice Wake Up Call signé par 96 pays à Nice en juin 2025
[4] Note de scénario des négociations diffusée par le Président le 12 juillet
[5] Voir notamment note de la coalition scientifique sur les risques sanitaires
[6] Traité mondial sur les plastiques – ce que la science dit des éléments essentiels pour sa réussite
[7] Réduire la pollution plastique à la source : les arguments en faveur des solutions en amont ?
[8] Communiqué de presse du mouvement Break Free From Plastic et manifeste des 600 associations mobilisées
[9] An inshore–offshore sorting system revealed from global classification of ocean litter, Nature Sustainibility
[10] Synthèse des recommandations de la coalition scientifique sur le texte du Président (page 3)
[11] Voir la campagne Surfrider against Cigarette Butts: https://www.surfrider.fr/landing-page/surfrider-against-cigarette-butts/
[12] World Health Organisation, Framework Convention on Tobacco Control https://fctc.who.int/newsroom/spotlight/environment/4.5-trillion-cigarette-butts-are-equal-to-1.69-billion-pounds-of-toxic-trash
[13] Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination. URL : https://eur-lex.europa.eu/FR/legal-content/summary/basel-convention-on-the-control-of-transboundary-movements-of-hazardous-wastes-and-their-disposal.html