Méthodologie
Afin de consulter les différentes parties prenantes, Leo Heller a envoyé des questionnaires aux États et à l’ensemble des parties prenantes, et a reçu 28 soumissions, dont l’une de End Water Poverty, partenaire de la Coalition Eau. Pour alimenter le rapport, une réunion d’experts a également été organisée les 14-15 mai 2018, à laquelle a participé Action contre la Faim pour y représenter la Coalition Eau. Le grand public a lui été consulté sur une série de questions via les réseaux sociaux.
Sur le principe de redevabilité, le Rapporteur spécial a cherché à approfondir le concept selon une approche tridimensionnelle :
- Les acteurs participant à la fourniture et à la réglementation des services d’eau et d’assainissement doivent avoir des responsabilités et des normes de performance clairement définies (sect. II) ;
- Les acteurs doivent expliquer et justifier leurs actions, leur inaction et leurs décisions aux populations affectées, ce qui implique un accès transparent à l’information et des espaces d’interaction entre les acteurs et les personnes affectées (sect. III) ;
- Des mécanismes doivent être en place pour surveiller et garantir le respect des normes établies par les acteurs, imposer des sanctions et faire en sorte que des mesures correctives soient prises (sect. IV).
La redevabilité dans le secteur de l’eau et de l’assainissement : un concept dynamique et évolutif
Le principe de redevabilité peut être utilisé comme un mécanisme permettant de demander des comptes aux États et autres acteurs responsables sur leurs actions, leur inaction et les décisions qui affectent la jouissance par tous des droits humains à l’eau et à l’assainissement. Comme la notion de droits de l’homme, la redevabilité est un principe dynamique et évolutif.
Dans son rapport, le Rapporteur spécial s’est concentré sur les mécanismes auxquels les utilisateurs individuels peuvent avoir un accès direct pour leurs préoccupations quotidiennes concernant les services d’eau et d’assainissement.
La complexité des acteurs du secteur de l’eau et de l’assainissement et les spécificités de ce secteur impliquent que le cadre traditionnel des droits humains centré sur l’État n’assure pas toujours de pallier aux lacunes des mécanismes de redevabilité existants. Lorsque les droits à l’eau et à l’assainissement sont affectés, on ignore très souvent à qui les mesures connexes peuvent être attribuées, pourquoi de telles mesures ont été prises, comment les sanctions peuvent être appliquées à l’encontre de ceux qui ont causé des dommages et comment remédier à la situation.
Le Rapporteur spécial a ciblé le besoin de renforcer les trois dimensions de la redevabilité dans le secteur de l’eau et de l’assainissement :
- rôles, responsabilité et normes de performance ;
- offre d’explications et de justifications ;
- mécanismes d’application de la réglementation.
En effet, selon lui, (1) l’application adéquate du principe de redevabilité implique de définir clairement qui est responsable, qui peut tenir les acteurs responsables et de quoi les acteurs doivent être responsables ; (2) la fourniture d’explications et de justifications exige, d’une part, que les États et les autres acteurs responsables soient en mesure de répondre aux questions et de fournir les renseignements demandés par les particuliers. D’autre part, les États et les autres acteurs responsables doivent fournir des renseignements en amont et de manière systématique, en toute transparence, ainsi que des espaces ouverts permettant de dialoguer avec les populations concernées ; (3) l’applicabilité des droits humains à l’eau et à l’assainissement est essentiel pour assurer la redevabilité des acteurs en imposant des sanctions et des mesures correctives en cas de violations et d’abus de la part de ces acteurs.
Plusieurs références sont tirées de l’étude mondiale des mécanismes nationaux de redevabilité pour l’ODD6[1]. La Coalition Eau et ses partenaires End Water Poverty, WSSCC, Sanitation and Water for All et IRC Wash, sont reconnus dans ce rapport comme des acteurs du secteur de l’eau et de l’assainissement ayant exploré le concept de redevabilité et cherché à formuler comment ce concept pourrait être appliqué aux spécificités du secteur.
Recommandations principales du Rapporteur spécial
Afin de mettre en place un cadre de redevabilité adéquat, le rapport présente un ensemble de recommandations à la fois aux États mais aussi aux acteurs participant à la fourniture de services d’approvisionnement en eau et d’assainissement : organisations internationales, bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux, ONG, fournisseurs de services privés et informels, régulateurs indépendants, les sociétés transnationales et nationales :
Pour la dimension relative aux rôles, responsabilités et normes de performance, le Rapporteur spécial recommande de :
- Définir les rôles et responsabilités des entités dont l’influence, les actions, l’inaction et les décisions influent sur la prestation de services d’eau et d’assainissement, de façon qu’ils soient transparents et clairs pour les personnes concernées ;
- Prendre les dispositions utiles pour que les ressources, les connaissances, les capacités et les mécanismes de redevabilité correspondants soient transférés comme il convient lorsque les rôles et les responsabilités sont transférés d’un acteur à un autre ;
- Adopter le contenu normatif des droits humains à l’eau et à l’assainissement comme base fondamentale des normes de performance ;
- Donner la priorité à l’approvisionnement en eau et à l’assainissement conformément aux droits humains à l’eau et à l’assainissement dans les situations où les responsabilités sont multiples.
Pour la dimension relative aux explications et justifications, le Rapporteur spécial recommande aux Etats de :
- Consigner les mesures et les décisions prises assorties de leur justification, y compris par la mise en place de systèmes internes permettant un examen efficace des décisions et le respect des normes de performance ;
- Maintenir des mécanismes clairs et efficaces pour répondre aux demandes et aux préoccupations des populations concernées, en répondant en temps opportun aux demandes d’information et d’explications et en veillant à la clarté ainsi qu’à l’utilité des renseignements fournis ;
- Favoriser l’échange de renseignements sous la forme de dialogues ou d’activités permettant aux populations concernées de vérifier si les renseignements reçus sont valables, d’exprimer leurs opinions et d’influencer les décisions pertinentes sans barrières linguistiques ;
- Publier régulièrement des renseignements sur les processus de décision relatifs à l’eau et à l’assainissement ;
- Adopter des indicateurs qui couvrent l’ensemble du contenu normatif des droits à l’eau et à l’assainissement et qui sont ventilés par motifs de discrimination interdits, tout en fixant des critères spécifiques pour chaque indicateur.
Pour la dimension relative à l’applicabilité, le Rapporteur spécial recommande aux Etats de :
- Mettre en place un système de contrôle efficace permettant de suivre le comportement des acteurs du secteur de l’eau et de l’assainissement et d’évaluer le respect des normes de performance ;
- Evaluer et s’attaquer aux obstacles auxquels se heurtent les personnes en situation de vulnérabilité pour recourir à un mécanisme judiciaire ou quasi-judiciaire, en éliminant les obstacles institutionnels, physiques, économiques, sociaux ou autres ;
- Prendre les dispositions utiles pour que les populations touchées soient informées du fait que, lorsque les plaintes ne sont pas résolues par les mécanismes de leur prestataire de services, d’autres mécanismes d’application sont à leur disposition
Ce rapport sera présenté par Leo Heller lors de la 73ème session de l’Assemblée Générale des Nations Unies le 19 octobre 2018.
- Le rapport est accessible ici
[1] https://coalition-eau.org/actualite/lancement-du-rapport-etude-mondiale-des-mecanismes-nationaux-de-redevabilite-pour-l-odd-6/